Si les applications de la blockchain étaient à l’origine exclusivement financières, de nombreuses blockchain se sont depuis développées, plus ou moins éloignées de celle du bitcoin. Certaines ont même pris le parti de ne plus avoir de crypto-monnaie associée, pour proposer d’autres usages, tirant partie des propriétés de décentralisation, d’immuabilité et d’horodatage de la technologie blockchain. Depuis quelques années, on peut ainsi assister au développement d’un marché des services blockchain, encore balbutiant. De nombreuses entreprises perçoivent les potentiels intérêts de cette technologie et commencent parfois sans trop comprendre de quoi il s’agit à essayer d’en tirer des bénéfices. Des “ experts ” se proposent même de les accompagner dans leurs projets utilisant la technologie blockchain, comme Amazon avec son système “ Amazon Managed Blockchain ”, permettant de créer et gérer des réseaux de blockchains évolutifs.
L’application de la blockchain la plus développée (et déjà accessible au grand public) est sans doute la certification de documents. L’idée est simple : les transactions financières normalement inscrites sur la blockchain sont ici remplacées par des informations liées à un document et à un utilisateur. Ce type de blockchain permet par exemple de certifier que vous, Monsieur/Madame X, avez bien obtenu le diplôme de Master de l’école Y en Janvier 2019, sans que personne ne puisse remettre en question ou falsifier ce diplôme, pas même vous donc… Ce type d’usage pourrait s’avérer intéressant pour les écoles, mais surtout pour les employeurs, sachant qu’une
étude réalisée en 2013 par le cabinet de conseil en recrutement Florian Mantione estimait que “ que 33 % des candidats s’attribuent “ souvent ” ou “ toujours ” un faux diplôme ”. Une autre application de certification via la blockchain est la notarisation des titres de propriétés. Le
projet Bitland a par exemple pour objectif de permettre aux citoyens et aux institutions du Gahna de revendiquer leurs titres de propriété, sachant qu’on estime qu’environ 90% des zones rurales du pays ne sont pas répertoriées sur un cadastre, du fait de la difficulté de prouver sa propriété et surtout de la corruption de l’état. Le projet a pour but de s'étendre dans un deuxième temps à tout le continent africain. Une fois la certification initiale inscrite sur la blockchain par un intermédiaire humain, la propriété pourrait même être échangé ou revendue que cette certification soit remise en question.
Un principe similaire permettrait d’utiliser la blockchain pour certifier son identité et pouvoir accéder à des données, à un réseau, à un service… Irving Wladawsky-Berger, professeur, conférencier et chercheur à IBM pendant 37 ans explique dans son article “ The Internet of Money ”, qu'à travers le monde, “ beaucoup d’individus pauvres ne peuvent pas prouver qui ils sont. Le fait qu’ils n’aient pas de certificat de naissance ou tout autre document prouvant leur identité les empêche de participer à beaucoup d’activités que nous considérons comme acquises dans une économie moderne * ”. Jonathan Ledgard, directeur du département “ Future Africa ” de l’École Polytechnique Fédérale de Lausanne et ancien correspondant dans 50 pays Africain pour “ The Economist ”, va même plus loin dans son article “ Africa, Digital Identity and the Beginning of the End for Coins ”, affirmant que “ l’identité numérique sera l’une des plus importantes questions philosophique, politique et économique du début du 21ème siècle ”. Il précise qu’“ en Afrique d’ici 2020, 200 millions de jeunes se connecteront à internet pour la première fois. [...| Ces jeunes africains auront une opportunité bien plus forte d’améliorer leur qualité de vie s’ils disposent d’une identité numérique véritable et sécurisée, leur permettant de contrôler leurs propres données et faire plus facilement des transactions avec les autres utilisateurs sur des réseaux pair-à-pair * ”. Cette vérification et cette sécurisation de l’identité numérique pourrait être obtenue via la blockchain et son principe de clé privé propre à chaque utilisateur du réseau, grâce auquel on est certain que vous êtes bien qui vous prétendez être. L’une des limites principales de ce type de blockchain sera alors de réussir à mobiliser suffisamment de mineurs, et donc de puissance de calcul totale, pour garantir la sécurité du système et sa résistance aux attaques, ce qui pourrait être difficile à atteindre dans le cas de systèmes aux intérêts financiers limités…
Ce secteur ouvre donc de nombreuses opportunités de projets pour les entrepreneurs, dans lesquels les designers de services, d’expérience utilisateur et d’interface pourraient jouer un rôle prépondérant pour permettre un accès simplifié du grand public à ces technologies. Certaines entreprises de services, comme
Brickchain, font déjà collaborer designers et développeurs autour de la question du partage, du contrôle et de la protection des données personnelles des utilisateurs de services via la blockchain. Le concept récent du “ 0 knowledge proof ” permet par exemple de prouver un fait certifié, comme le fait que vous êtes majeur, sans donner de preuve exacte, en l’occurrence votre identité précise. Cette “ décentralisation de l’identité ” est particulièrement d’actualité alors que l’Union Européenne a voté le 25 mai 2018 le
Règlement Général sur la Protection des Données (RGPD), forçant les fournisseurs de services et de contenu en ligne à garantir à leurs utilisateurs la portabilité de leurs données personnelles (transfert des données d’un service à un autre), voire leur suppression complète sur demande. Une fois nos données personnelles vérifiées, nous disposerions donc chacun d’un “ passeport ” de caractéristiques personnelles (nom, coordonnées, informations bancaires, données médicales…) certifiées sur la blockchain, que nous pourrions partiellement ou totalement fournir en fonction de nos besoins et de nos pratiques sur internet. Le développement de ce type de projet se répand, et on peut notamment citer la plateforme
Open Mustard Seed (OMS), réalisé en collaboration par ID3 (Institute for Institutional Innovation by Data-Driven Design) et le M.I.T. Media Lab, permettant elle aussi le partage sécurisé de données en ligne.
Un autre usage similaire est lié à la traçabilité de produits ou de documents, tirant partie de la capacité d’horodatage du registre blockchain. La start-up
BlockchainyourIP (pour Intellectual Property) propose par exemple à des écoles, des organisations ou des particuliers de faire horodater leurs créations artistique ou technique sur une blockchain. Celle-ci est donc ici utilisée pour pouvoir prouver à posteriori l’identité du créateur et la date de création, comme le font par exemple actuellement les
enveloppes Soleau, permettant de sceller sous cachet de l’INPI (Institut national de la propriété industrielle) les documents prouvant une création. Ces procédés qui nécessitaient jusque-là un archivage papier manuel pourraient grâce à la blockchain être grandement simplifiés, sans risque pour le fournisseur de service de perdre votre dossier… S’ils peuvent indéniablement faciliter de nombreux usages pour les entreprises et les particuliers, ces nouveaux services liés à la blockchain soulèvent cependant de nombreuses questions en termes de gouvernance de nos données. On peut notamment se demander si ces fournisseurs de services ne sont pas en train de se positionner en tant que nouveaux “ tiers de confiance ”, dans l’idée de se rendre indispensables dans le futur pour certifier tout échange d’argent, de bien ou d’informations. Ces nouveaux services pourraient peut-être malgré tout nous permettre d’exercer un contrôle plus ferme sur les transactions que nous effectuons et sur les informations personnelles que nous acceptons de fournir pour nos différents usages en ligne.