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Relation Forme / Fonction
Les médias sociaux reposent sur des interfaces simples et intuitives invisibilisant la complexité du réseau d’acteurs participant au système. Il nous est difficile en tant qu’utilisateurs de percevoir les raisons pour lesquelles l’algorithme du système nous propose certains contenus ou de tracer l’origine de ces contenus. Il est donc primordial que nous apprenions à comprendre ces principes de fonctionnement, les modèles et les stratégies commerciales derrières les interfaces simplifiées.
Relation Fournisseurs / Usagers (ARTICLE)
L’ampleur qu’ont pris les médias sociaux ne permet aujourd’hui plus aux utilisateurs d’avoir une vision claire de leurs nombreux acteurs et des interactions entre ces derniers. Il est donc primordial que nous apprenions à démêler cette complexité, pour identifier les intérêts du média et des créateurs de contenus et garantir leur responsabilité, mais aussi pour distinguer les groupes d’usagers interdépendants auxquels nous appartenons, et ainsi garantir notre liberté et nos droits.
Effet Réseau & Représentation
Sur les médias sociaux, chaque utilisateur n’a qu’une vision très partielle du système, à travers le cercle de personnes avec lesquelles il s’est lui même mis en relation. Ces bulles d’influences sont un biais courant, nos relations étant proches de nos idées et nous exposant à une vision partiale de la réalité. Il est donc essentiel d’accéder à de plus justes représentations mentales ou visuelles du média dans toute sa complexité afin de prendre du recul sur ce que nous y voyons et partageons.
Gouvernance & Éthique
Du fait de leur modèle économique basé sur l’exploitation des données personnelles de leurs utilisateurs, l’éthique des médias sociaux est une question délicate, les forçant à mener un arbitrage constant entre leurs intérêts financiers et l’impact sur l’opinion des contenus qu’ils diffusent. Nous pouvons en tant qu’utilisateur d’un média impacter indirectement sur sa gouvernance, en modérant l'usage que nous en faisons proportionnellement aux informations que nous concédons au système.
INTERVIEW
Fabrice Epelboin,
cyberactiviste et enseignant
31 Octobre 2019
Pouvez vous vous présenter, évoquer vos différents domaines d’activités et plus spécifiquement votre travail de sensibilisation et d’information autour des techniques de manipulation de l’opinion sur les médias sociaux ?
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à partir de 2006-2007 je me suis mis à écrire énormément et à monter […] ce qu'aujourd'hui on appellerait des médias, et je me suis retrouvé à opérer un blog qui était une licence d’un blog américain très puissant […]. On a complètement axé le blog sur une lecture politique des technologies, et à partir de là j’ai, pendant 10 ans de ma vie, écrit de façon quotidienne au prétexte de l’actualité des technologies ...
Qu’est ce qui vous a amené à vous intéresser aux questions de cybersécurité et de l’utilisation des médias sociaux à des fins politiques et/ou idéologiques, encore je crois assez peu abordées dans les médias à l’époque ?
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je suis né un peu dedans, mon père est un pionnier de l’informatique, à une époque où à la base c’était tous des hackers, […] la distinction informaticien/développeur/hacker n’était absolument pas là dans les années 70 […]. Les problèmes de sécurité, qui n’étaient pas prégnants à l’époque, c’était plus un état d’esprit ...
Quels enjeux politiques et économiques soulèvent selon vous l’évolution des usages des médias sociaux par des diffuseurs de contenu, de but commercial à but idéologique ?
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les médias ont perdu toute forme d’influence […]. Mais l’influence est restée, elle a juste basculée dans les mains du citoyen et des algorithmes, c’est à dire que concrètement, si moi je te balance un lien, c’est moi qui suis le prescripteur, pas la “ marque ” du média ...
Quel impact a selon vous pour les utilisateurs le fait que de nombreux diffuseurs proposent leurs services et contenus par l’intermédiaire d’un média tiers comme Facebook, aussi bien en termes d’utilisation du média que de compréhension de son fonctionnement ?
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j’ai une métaphore, qui est que l’opinion publique est un champ de bataille et que aujourd’hui […], les médias fournissent des munitions, mais ils ne savent pas très bien à qui ils vendent : par nature n’importe qui peut se saisir d’un article de Libération […], et derrière c’est utilisé par des gens qui sont plus ou moins doués dans le maniement de l'armement informationnel ...
D’où vient selon vous l’évolution des logiques communicationnelles utilisées sur ces plateformes, d’une communication de masse à une communication individualisée et ciblée ?
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[les marques et les médias] ont fait une confusion mentale entre Facebook et la télévision […]. Ils ont pris l’outil page […], et ils y ont appliqué une logique de chaîne de télévision, descendante : les sachants qui s’adressent au bas peuple pour leur adresser une analyse de ce qu’il faut penser et de ce qu’il est autorisé de penser. Et ça ne c’est pas passé comme ça, du tout. ...
Quel impact a selon vous le mode de fonctionnement de Facebook et son modèle économique sur l’utilisation qui en est aujourd’hui faite à des fins électorales et idéologiques ?
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[l’intelligence artificielle de Facebook] a constaté que quand tu étais très énervé et que tu te battais pour faire valoir tes idées, tu y passais un temps fou, […] et du coup elle a privilégié les contenus clivants sur les petits chats […]. Et ça Facebook ils adorent, parce que si tu postes le bon truc au bon endroit tu vas générer une quantité faramineuse d'interactions et c’est synonyme de profit ...
Croyez vous en la possibilité d'autorégulation des médias sociaux, alors que Facebook a annoncé, suite aux affaires d’astroturfing dans plusieurs scrutins nationaux, la mise en place d’équipes internes chargées de contrer les piratages informatiques et les opérations de propagande ?
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des opérations d’astroturfing à des fins politiques […], il y en a des centaines dans tous les pays du monde, […] et on ne parle que des opérations politiques, il y a aussi des opérations commerciales : Monsanto s’est fait griller récemment, les pétroliers font ça, le nucléaire fait ça... Tous les lobbys font aujourd'hui dans l’astroturfing, donc ça donne un territoire extrêmement complexe à dépioter ...
Selon vous, quelle responsabilité ont et devraient avoir les plateformes comme Facebook sur l’utilisation qui est faite de leurs services, au regard du conflit entre leurs intérêts commerciaux et les conséquences morales et idéologiques des contenus qu’elles diffusent ?
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le problème c’est qu’on est dans un monde où les entreprises n’ont pas de responsabilités, elles n’ont pas à répondre à la loi, elles n’ont pas à payer d'impôts… Donc si tu veux demander une responsabilité aux entreprises il faut déjà se tourner vers les politiques. […] Tu imagines bien que si tu ne payes pas d’impôts, tu n’es pas plus redevable sur quelque texte de loi que ce soit ...
Quel rôle doivent selon vous jouer les législateurs, aussi bien politiques qu'institutionnels, dans la régulation de ces médias et des usages qui en sont fait ?
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le législateur ne peut rien, d'abord parce qu’il n’est pas en position de faire quoique ce soit : il y a une puissance du lobby, pour ne pas parler de corruption, qui est telle qu’il ne peut pas. Ensuite il ne comprend pas : à l’assemblée nationale en France typiquement, il y a 5 députés qui comprennent les sujets dont on parle là ...
Croyez vous au potentiel des récentes tentatives de régulation des médias sociaux, notamment à travers la “ loi contre la manipulation de l’information ” ?
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la loi Avia […] va demander à Facebook, avec une contrepartie qu’on ne connaît pas encore bien, d’aller censurer tout ce qui ne lui plait pas, sur un système de reporting citoyen. […] C’est comme ça qu’on allait identifier les premiers problèmes dans ce qui allait donner naissance aux printemps arabes, ça se détourne très facilement, tu as juste besoin d’une communauté qui a un peu d’expérience avec le militantisme en ligne ...
Quel rôle jouent ou devraient selon vous jouer les activistes et journalistes en tant que porte-voix des lanceur d’alertes et révélateur d’atteintes aux libertés publiques et individuelles ?
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il y a des exceptions, il y a plein de journalistes de grande qualité en France qui comprennent tout ça, […] mais une fois qu’on s’est débarrassé de ces 20, 30, 40 […], le reste ne comprend rien, donc ne sont pas du tout en état de faire quoi que ce soit. Pour avoir une action sur un système il faut d'abord commencer par comprendre le système, donc la solution ne peut pas venir des journalistes ...
Quel mode de lutte citoyenne croyez vous possible pour faire face aux dérives et aux dangers de ces médias, à l’insu de leurs utilisateurs ?
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je pense que la meilleure approche aujourd’hui c’est l’éducation populaire aux technologies, […] le problème c’est qu’il n’y a pas vraiment de structure d’éducation populaire […]. Il faut imaginer des trucs à bien plus large échelle, et puis il faut arriver à ce que la population française sorte de cet illettrisme, dans lequel elle est pour l’instant totalement enfermée, et les interfaces y ont très grandement contribué ...